NE JUIF, DANS L’EMPIRE RUSSE, A LA VEILLE DE LA REVOLUTION BOLCHEVIQUE
Né le 6 mai 1904 en Russie tsariste, dans une ville nommée Slavouta (qui appartient aujourd’hui à l’Ukraine), Moshé-Pinhas est âgé de six ans lorsque sa famille s’installe à Baranovitch (aujourd’hui en Biélorussie). En 1918, à l’âge de 14 ans, un an après sa bar-mitsva, il quitte la maison et part à pied pour la Terre d’Israël. Le voyage durera six mois.
PIONNIER D’UN « FOYER NATIONAL POUR LE PEUPLE JUIF » EN PALESTINE SOUS MANDAT BRITANIQUE
Il a débarqué comme pionnier en Israël à un âge où les autres vont encore à l'école et à une époque où ce voyage-là était toujours dangereux, le plus souvent clandestin, parfois mortel.
Son arrivée fait suite à la déclaration Balfour, déclaration par laquelle le gouvernement britannique « envisage favorablement l'établissement en Palestine d'un foyer national pour le peuple juif ». Pendant plusieurs années, Feldenkrais a construit des maisons et des édifices publics. Il est un des nombreux « bâtisseurs d'Israël » qui n’est encore, à cette époque, que la Palestine sous mandat britannique.
Puis il revient sur les bancs de l’école. En deux années, au lieu des cinq habituelles, il termine le cycle d'études scolaires. A partir de 1925 il est cartographe dans l’administration britannique. À la même époque, il participe à des activités juives d’autodéfense face aux agressions arabes qui se multiplient et devient un adepte des arts martiaux.
En 1929, une blessure au genou, contractée lors d’un match de football, le contraint à une inactivité provisoire. C’est alors qu’il se met à l’écriture. Il publie deux livres en hébreu : l’un sur les techniques d’autosuggestion et l’autre sur le jiu-jitsu, une méthode de combat alors très en vogue.
En 1930, Moshé Feldenkrais a 26 ans et décide de passer aux choses sérieuses. Il se rend à Paris.
EXPATRIE À PARIS, ÉTUDIANT, CHERCHEUR, PHYSICIEN ET JUDOKA
Sans relations précises, Moshé Feldenkrais se rend dans la capitale française. Travaillant à alimenter les chaudières à charbon pour payer le passage sur le bateau qui le conduit en France, il est ensuite employé comme serveur dans plusieurs petits restaurants parisiens. Sa situation financière précaire ne lui permet pas de suivre les longues études de médecine qui pourtant le passionnent. Il opte donc pour une l'École Spéciale des travaux Publics de la Ville de Paris.
Cet Israélite-type était venu en France "provisoirement" pour étudier et utiliser ses connaissances en physique et en judo. Il vivait chichement. Sa gentillesse, son humilité,sa détresse, sa compétence lui ouvrirent les portes de Fréderic JOLIOT-CURIE, des ses adjoints et des chercheurs et scientifiques qui l’entouraient. Toutefois, le handicap de la langue est réel.
Quelque temps après son arrivée, Moshé Feldenkrais devient l'assistant de Frédéric Joliot dans les laboratoires de recherche mis à la disposition du prix Nobel par l'École Spéciale des Travaux Publics de Paris. Plus tard, il collabore aux travaux du professeur Langevin sur le magnétisme et la détection des ultrasons.
Sa personnalité mais surtout l'aide amicale et matérielle de l'ESTP, par l'intermédiaire de Léon Eyrolles puis de son fils Marc, sont à l'origine de l'ouverture d'une salle de jujutsu au sein de l'école. Celle-ci est fréquentée principalement par des étudiants, élèves de l'ESTP ou de la Sorbonne.
En 1933, Moshe Feldenkrais se trouvait à Paris, à l'Institut du Radium. Il collaborait aussi au journal l’Auto. Au journal, il y avait aussi un certain Charles Faroux, major de l'École Polytechnique, champion du monde de billard. Il savait que Moshe Feldenkrais avait écrit, en hébreu, un livre sur le Jiu-Jitsu. Il l'a informé qu'un certain Jigoro Kano allait faire une démonstration en présence de l'Ambassadeur du Japon et du Ministre de l'Education Nationale.
La rencontre de ces deux hommes est un moment décisif de l'histoire du judo en France. La notoriété acquise par Kano et sa maîtrise des concepts en matière d'éducation amplifient la force du message auquel il consacre toute sa vie. Feldenkrais est, lui aussi, un personnage hors du commun. L'œuvre qu'il réalisera plus tard dans le domaine de la rééducation du corps possède le même caractère universel, la même dimension humaniste que celle du fondateur du judo. Des rapports d'estime réciproque lient les deux hommes et Kano consacrera plusieurs pages de son carnet de voyage à leur relation.
Feldenkrais va réorienter le jujutsu enseigné en France. Son action, si brève soit-elle, dégage la méthode japonaise du secteur strictement utilitaire de la défense individuelle pour la positionner dans un cadre d'analyse et de réflexion. En même temps qu'il fait les gestes protecteurs, Feldenkrais leur attribue un sens et dévoile la logique de leur fonctionnement. Grâce à ses connaissances en physique et en anatomie, il formalise les attaques et les ripostes. Il donne aux techniques de défense un fondement scientifique. L'originalité de sa démarche tient dans le souci d'allier l'efficacité la plus sobre et la plus immédiate à la compréhension des principes de l’action réalisée. Au début des années 1930, sa force de persuasion entraîne les intellectuels parisiens de son entourage dans l'expérience de l'art japonais.
Il est l’un des premiers Européens à être devenu ceinture noire de judo (deuxième Dan en 1938). Il est la première ceinture noire de judo délivrée en France.
Feldenkrais est un novateur car son enseignement se démarque de façon définitive de l'approche uniquement fonctionnelle du jujutsu destiné aux policiers et aux militaires. La stylisation de la méthode de combat attire un nouveau public. Le succès de la section de l'ESTP permet à Feldenkrais de transformer le club universitaire en Jiu-Jitsu Club de France. L'association est officiellement déclarée lors du dernier voyage de Kano à Paris, en septembre 1936. Le comité d'honneur est constitué par Kano Jigoro, le professeur Frédéric Joliot et par Léon Eyrolles. Le comité directeur comprend le président, Charles Faroux, directeur de La Vie Automobile, deux vice-présidents, Moshe Feldenkrais, ingénieur ETP, Paul Bonét-Maury, docteur es sciences, un secrétaire général, Marc Eyrolles, ingénieur ETP. Peu de temps après, la direction technique est confiée à un expert japonais récemment installé dans la capitale française, Kawaishi Mikinosuke.
Le 10 février 1939 a lieu une soirée gala au Jujitsu club de france, 1 rue thénard à Paris (Ve), présidée par M. Jean ZAY, ministre de l'éducation nationale.
NB : C’est à partir de cette structure que naîtra, après la seconde guerre mondiale, la Fédération Française de Judo. Mais ceci est une autre histoire…
Il vient aussi de se marier avec Yona Rubenstein (pédiatre), et semble s’acheminer vers une carrière paisible associant la science et le sport.
DANS LA TOURMENTE DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE
Mais la guerre vient rappeler à Moshé Feldenkrais que, pour un Juif, la vie est pleine de rebondissements. Passé en Angleterre avant l’arrivée des Allemands à Paris, il est recruté par les services scientifiques de la marine pour travailler dans la lutte sous-marine. Il donne aussi des cours d’autodéfense, et publie en 1942 - en anglais, cette fois - un manuel de « combat sans arme » et un livre sur le judo.
Il commence à s'intéresser très fortement au développement humain et au mode d'apprentissage des enfants, inspiré en partie par l'observation des enfants dans le cabinet pédiatrique de sa femme, Yona Rubenstein.
Sa vieille blessure au genou le fait souffrir, et la marche sur les ponts glissants des sous-marins n’arrange pas les choses. Après un accident grave sur son genou déjà traumatisé, Moshe Feldenkrais se voit proposer une intervention dont les chances de succès sont à 50%, pourcentage inadmissible pour un scientifique.
C'est là qu'il fit le pari le plus stupide, le plus important et le plus enrichissant de son histoire en jurant d'éviter l'intervention chirurgicale et de se rééduquer lui-même. Il étudie tout ce qui a trait à la santé et à la guérison: anatomie physiologie, neurophysiologie, psychothérapie, exercices de rééducation, pratiques spirituelles, yoga, hypnose, acupuncture. Moshe Feldenkrais réussit à apprendre à marcher de nouveau sans avoir besoin d'opération. Il reprend même sa pratique du Judo.
SA METHODE DE THERAPIE PSYCHOMOTRICE
Après des mois d'observation minutieuse et d'exploration de très petits mouvements, il redécouvre et affine le processus d'apprentissage utilisé par les jeunes enfants pour acquérir la marche. Il découvre que prendre conscience de comment l'on bouge peut être une clé pour se soigner et fonctionner mieux. Plus tard un ami qui souffre du dos, lui demande si le même processus ne pourrait pas l'aider. C'est ainsi que Moshe Feldenkrais se rend compte de l'efficacité de sa méthode. Il développe une méthode, à travers le toucher et le mouvement, pour faciliter le retour à la santé et l'apprentissage qu'il appellera plus tard: Intégration Fonctionnelle. Il désire aussi communiquer ces nouvelles possibilités à un plus grand nombre de personne. Cette fois il utilise la parole et le mouvement dans des leçons de Prise de Conscience à travers le Mouvement.
À la fin de la seconde guerre mondiale, Moshé Feldenkrais est une des autorités mondiales en matière de judo (il publiera son dernier livre sur ce sujet en 1952). Il a aussi déposé plusieurs brevets scientifiques et travaille quelques années comme consultant dans l’industrie britannique. Rentré en Israël en 1951, il dirige le département d’électronique de la jeune armée israélienne. Puis, en 1954, il décide de se consacrer entièrement à l’enseignement de sa méthode. Il donne des cours dans un appartement de Tel Aviv. Sa renommée se répand. En 1957, Moshé Feldenkrais commence à travailler avec un prestigieux élève : le premier ministre, David Ben Gourion qui souffre de mal de dos chronique et de problèmes respiratoires. La santé de Ben Gurion s'améliore de façon étonnante et la réputation de Moshe Feldenkrais progresse parallèlement.
Les concepts et le vocabulaire qui caractérisent la méthode Feldenkrais se diffusent peu à peu. Nous ne savons pas, explique Moshé, utiliser au mieux notre patrimoine génétique. Le corps et l’esprit forment un tout : face à des difficultés, notre système nerveux est capable de réorganiser notre corps, en contournant la douleur et en rétablissant un fonctionnement adapté aux circonstances. Encore faut-il avoir accès à cette « force de mieux-être » qui est en nous. La meilleure approche pour cela est celle qui passe par le mouvement, car l’esprit intègre plus aisément les informations qui lui proviennent directement du corps.
Mais le mouvement en question, insiste Moshé, doit être d’ordre « squelettique » et non « musculaire » ; il ne doit pas engendrer la peine mais être porteur d’harmonie et d’efficacité. Et il doit conduire à une pleine perception de l’action en cours : « Si nous ne savons pas ce que nous sommes en train de faire, nous ne pouvons pas faire ce que nous voulons ».
Afin de parvenir à ce résultat, Moshé Feldenkrais a élaboré deux techniques parallèles. La première, baptisée « Prise de conscience par le mouvement », est définie comme « un apprentissage à travers des arrangements de mouvements destinés à mobiliser des modes de fonctionnement inconnus ou oubliés ». Pratiquée en groupe ou de manière individuelle, sous forme de séances de trois quarts d’heure environ, elle invite les participants à découvrir - à leur propre rythme et sans ne jamais forcer - des « habitudes » différentes de celles auxquelles ils ont été accoutumés.
La deuxième technique, connue sous le nom d’« Intégration fonctionnelle », est individuelle et repose sur le contact physique. Essentiellement non-verbale, elle fait appel, dit Moshé Feldenkrais, « aux éléments les plus anciens de notre système sensoriel : le toucher, les sensations de traction et de pression, la chaleur de la main et la caresse ».
À partir de la fin des années 60, Moshé Feldenkrais forme des formateurs. Ils sont d’abord une douzaine, dans son appartement de la rue Nahmani à Tel Aviv.
Il continue ensuite aux Etats Unis pendant 11 ans. Il forme ainsi un grand nombre de praticiens à San Francisco puis à Amherst, Massachussetts.
En automne 1981 devenant malade, il a cessé d'enseigner publiquement.
Il meurt à Tel Aviv le 1er juillet 1984, peu après son quatre-vingtième anniversaire.
CONCLUSION
Moshe Feldenkrais a réalisé la convergence entre la culture traditionnelle orientale et les dernières découvertes de la science moderne.
Il a élaboré sa méthode de thérapie psychomotrice : à partir du mouvement et de son application dansl’image de soi, il fait appel aux quatre parties intégrantes de l’action (le mouvement, la sensation, le sentiment, la pensée) dans une unité de fonctionnement.
Bibliographie :
Judo
Aux Éditions CHIRON Paris:
En langue étrangère :
Psychomotricité
(Meta Publications, Cupertino, Californie) 50 lessons by Dr. Feldenkrais
(Alef Publishers, Tel-Aviv)
SITES INTERNET :